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CORRUPTION : LA FRANCE REAGIT ENFIN !
19/02/2016 - Médias
Depuis des années, la France ne cesse d’être pointée du doigt pour son prétendu laxisme au gré des rapports de l’OCDE ou de Transparency International. Le paradoxe ? Cette situation fait encourir aux entreprises françaises un risque transnational considérable face à l’extraterritorialité du FCPA et du Bribery Act. Avec le projet de loi Sapin 2, c’est tout le système de lutte contre la fraude qui est à repenser.
Selon le « Top Ten » établi par fcpablog.com, la France est en tête des pays les plus sanctionnés au titre d’actions répressives intentées par les Etats-Unis sur le fondement du FCPA : #2 Alstom : 772 millions USD ; #5 Total SA : 398 millions USD ; #8 Technip SA : 338 millions USD. En 2014, BNP Paribas a par ailleurs plaidé coupable et accepté de payer l’amende record de 8,9 milliards de dollars.
Le droit français est en effet mal perçu à l’étranger. Les peines applicables ne sont pas considérées comme dissuasives en comparaison des avantages qui peuvent être obtenus. Les subtilités procédurales et juridiques liées à la responsabilité pénale des entreprises et de leurs dirigeants font que les risques de condamnations pénales sont peu prévisibles et les opérateurs n’ont pas intérêt à dénoncer les faits.
Les lourdes condamnations prononcées aux Etats-Unis et celles en passe d’être infligées avec le Bribery Act en Grande-Bretagne illustrent donc le risque croissant auquel sont exposées les entreprises françaises dans la guerre économique qui leur est livrée. C’est dans ce cadre qu’intervient le projet de loi pour la transparence de la vie économique -dite « Sapin 2 »- actuellement examiné par le Conseil d’Etat et qui sera présenté en Conseil des Ministres le 23 mars 2016.
- Faire de la prévention une obligation
Le projet formalisera l’obligation de prendre des mesures pour détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption. L’objectif est d’obliger les entreprises à mettre en place des systèmes de gouvernance et de « compliance » efficaces.
Les programmes de conformité envisagés seront encadrés par une nouvelle Agence nationale de prévention et de détection de la corruption, chargée de surveiller et faire appliquer la mise en place de ces procédures par l’intermédiaire de la publication de lignes directrices, de pouvoirs d’audits des systèmes et enfin, de pouvoirs de sanctions. Au-delà même de la prévention et en cas de condamnation, la nouvelle Agence pourra également participer à la mise en place d’une peine complémentaire dite de « mise en conformité » d’un système de prévention.
Si le système s’inspire du « monitorship » intégré au FCPA, des questions pratiques se poseront face aux différences de cultures et à la crainte de vivre l’action de l’Agence nationale comme une intrusion, ce qui pourrait limiter le caractère incitatif de la mesure et son efficacité.
- Un vrai pouvoir de sanction par un service de l’Etat
Les programmes de lutte contre la corruption ne devront plus rester déclaratifs. En cas de difficulté dans la mise en place, la nouvelle Agence pourra mettre en demeure les entreprises et prononcer des sanctions, y compris à l’encontre des personnes physiques, et dont les montants pourraient aller jusqu’à 1 000 000 € pour les entreprises.
Quel devra alors être le contenu de ces programmes ? Les principaux axes à suivre seront probablement calés sur les lignes directrices de l’actuel Service Central de Prévention de la Corruption à savoir, l’engagement des dirigeants au plus haut niveau, l’évaluation des risques ainsi que la mise en place de documents de références, de procédures et de contrôles.
- Quelles entreprises seront concernées ?
Il s’agirait de celles employant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions €. Des débats auront lieu sur la question de ces seuils car ils ne répondent en l’état à aucune définition connue de type PME communautaire ou ETI.
- Valoriser le système de compliance face au risque pénal
Même si la plupart des entreprises intervenant à l’étranger ont déjà intégré les risques liés au Bribery Act ou au FCPA, le champ d’application et la question du délai imposé aux entreprises pour se conformer aux nouvelles obligations feront débats !
Si l’on veut assurer l’efficacité des systèmes de « compliance » et faire en sorte que les fraudes soient signalées, il faudra réfléchir à l’impact positif qu’auront ces systèmes et imaginer comment ne pas nécessairement engager la responsabilité pénale de la personne morale lorsque les faits ont été commis isolément par un dirigeant en violation des règles internes. Mais aussi comment moduler la gravité et le type de peine prononcée, modifier les conditions de la récidive et réfléchir au moyen d’éviter l’exclusion automatique des marchés publics.
- Nécessité d’un audit en amont et/ou en aval d’une opération M&A
Les entreprises devront être encore plus vigilantes en matière de détection des actes de corruption dans leur « due diligence » préalable à leurs opérations de croissance externe. Un audit a posteriori pourra se révéler très utile afin d’éviter de lourdes sanctions financières et pénales liées à l’acquisition d’une cible ne respectant les nouvelles obligations légales en matière de corruption. L’importance d’un audit pénal conjugué à un audit M&A en amont et/ou en aval de l’acquisition se révélera donc désormais indispensable.
- Faire évoluer la procédure pénale
Mais faudra-t-il se contenter des réflexions sur ce seul terrain ? L’amélioration de la lutte contre la fraude et de la compétitivité des entreprises françaises ne devrait-elle pas passer par une évolution de la procédure pénale ? Notre procédure actuelle de plaider-coupable, pratiquée « à tâtons » par les parquetiers et juges d’instruction financiers, est disparate et aboutit à un jugement de condamnation public qui a notamment pour conséquence une exclusion automatique des marchés publics.
L’expérience a pourtant démontré que par l’intermédiaire des négociations confidentielles avec les Procureurs anglo-saxons, des solutions pouvaient être trouvées rapidement, dans des proportions financières acceptables et sans que les entreprises n’aient à craindre une sur médiatisation ou une exclusion des marchés publiques étrangers.
Des solutions plus fermes et plus rapides comme la convention de compensation d’intérêt public sont envisagées dans le cadre du projet de loi « Sapin 2 ». L’amende pourrait alors aller jusqu’à 30% du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années. Un bouleversement dans le droit français qui se conjuguerait avec l’introduction dans la loi « Sapin 2 » de la fin du cumul des poursuites et des peines en matières administratives et pénales.
Les rapports entre les Parquets, juges du siège et acteurs économiques devront donc être repensés et il nous paraît essentiel que ces nouvelles procédures fassent prévaloir le rôle du juge afin de protéger au mieux les droits de la défense.
Le chantier est vaste mais il est une composante importante de la guerre économique menée contre des entreprises françaises et européennes. Un autre -et plus vaste- chantier sera celui de la réforme et de l’harmonisation des systèmes fiscaux français et européens. La France devra non plus réagir mais agir pour enfin se hisser à la hauteur des standards économiques internationaux et faire de Paris une place de droit compétitive.
Caroline DIOT & Fabien POUCHOT